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Apocalypse

Résumé :

 

Lucynda est entre la vie et la mort...

Le corps médical de Zebtiriu subit échec sur échec quant aux moyens mis en place pour sa guérison. Sa communauté, les druides, ne fait guère mieux...

C’est alors qu’une voie audacieuse et inattendue va s’ouvrir à eux grâce au concours de Lucy.

Mais en parallèle, la machine est déjà en route, qu’ils en soient conscients ou non, et l’apocalypse n’est pas loin.

Alors, ont-ils besoin d’obstacles supplémentaires ? Qu’adviendra-t-il de la paix de Zebtiriu lorsqu’ils apprendront l’impossible ?

Prologue :
 
 

Trois semaines s’étaient écoulées depuis que l’on avait attenté à ma vie. Tous tentaient de se persuader que la tentative était un échec, moi je pensais le contraire.

Bon sang, c’était quand même moi qui avais reçu ce coup d’épée ! D’accord, ce dernier aurait dû me tuer, et j’étais toujours en vie. Mais j’étais dans le même état depuis le début, prisonnière de ce foutu coma !

Heureusement que Thomas était là pour me distraire. Il était le seul à m’entendre. C’était fou, d’ailleurs ! Je ne me l’expliquais toujours pas.

Lui pensait que c’était lié à son sixième sens. Je lui avais répondu qu’il pressentait le futur, pas qu’il parlait aux morts. Et là, croyez-le ou non, mais je me suis prise une claque monumentale ! Oui, oui. Il s’était avancé vers mon corps, étendu dans ce lit d’hôpital, et l’avait giflé si fort que je l’avais ressentie une heure durant.

Depuis, j’évitais autant que possible de parler de ma mort. Car pour moi, j’étais condamnée. J’avais le privilège de bénéficier de soins plus performants et de médecins bien plus expérimentés que ceux de la Terre et pourtant, mon état n’avait pas changé. Tout était clair pour moi. J’avais accepté mon sort.

Pour rester dans l’ambiance, ma sœur, Helyanwë, avait disparu juste après le combat. Personne ne savait où elle se trouvait… Nous soupçonnions Kylian, bien entendu, qui d’autre aurait pu la kidnapper ?

Le conseil était en alerte maximale depuis le combat entre les sbires de Kylian et les forces de Dante. Maintenant, ils étaient pleinement convaincus de l’implication de ce sale type dans tout ce qui nous arrivait. Mais, s’ils étaient sur le qui-vive, ce n’était pas directement à cause de l’homme qui était derrière tout ça, bien qu’il soit activement recherché, bien entendu. Non. Ils l’avaient côtoyé, ils le connaissaient depuis longtemps et savaient que cette mascarade cachait quelque chose de plus gros. Les sages du conseil cherchaient donc activement ce que ce démon était en train de manigancer…

Ils avaient admis leurs erreurs, avaient rétabli notre chef dans ses fonctions, et nous permettaient d’utiliser à nouveau notre ancien QG, qui était en rénovation.

C’était peut-être la seule bonne nouvelle que l’on avait apprise récemment.

Quoique…

Il y avait aussi Mel, qui nous avait tous surpris en réapparaissant en plein milieu du combat. Bon, c’était à cause d’elle que je me retrouvais dans cet état, mais la pauvre, elle n’y était pour rien. Avoir été kidnappée et manipulée par cet être ignoble, qui sait ce qu’elle avait dû subir d’autre ? Elle ne voulait pas en parler, et je pouvais la comprendre. Le principal, dans tout ça, c’était que mon frère ait retrouvé sa femme et son futur enfant.

L’équipe médicale avait voulu lui faire subir des tests, lorsqu’elle était revenue, afin de vérifier que la santé du bébé n’avait pas été mise en péril, mais elle avait hurlé, s’était débattue et avait menacé quiconque s’approcherait d’elle.

Visiblement, il lui faudrait du temps avant de s’en remettre complètement…

 

Aujourd’hui était un jour spécial. Enfin, c’était ce que Thomas m’avait appris en passant me voir ce matin, après lui avoir demandé des nouvelles de Dorian, qui participait aux recherches pour retrouver Hely. Pourtant, tout paraissait normal.

— Cela fait combien de temps que tu n’as pas pris l’air, ma belle ? chantonna Thomas.

— Depuis que je me suis prise une épée dans le ventre ?

Il souffla d’exaspération. Pour lui, j’étais un cas désespéré : il avait beau tenter de me remonter le moral, je persistais dans le pessimisme.

Il préféra ignorer ma remarque sarcastique, et poursuivit.

— Aujourd’hui, nous te réservons une surprise, et de taille ! Car il se pourrait bien que tu sois sur pied avant que sonnent les douze coups de midi.

Il avait voulu laisser planer le mystère, mais devant mon scepticisme évident, il se résigna.

— Meredith, Eselt, Oanell et Deneza vont tenter le rituel de la fontaine de santé.

— Le quoi ? m’estomaquai-je soudain, en entendant le mot « rituel ».

J’avais subi toute une batterie de tests, divers traitements et essais médicaux, tout ça sans succès. Et maintenant, ils croyaient vraiment qu’un stupide rituel allait me guérir ? Je suis entourée de croyants, de superstitieux et de gens complètement débiles…

Tout en déambulant dans les couloirs proches de ma chambre, il poursuivit ses explications. Je m’empressai donc de le suivre, en m’éloignant ainsi quelque peu de mon corps.

— Comment ça ? Hely ne t’a jamais…

Il y eut un moment de silence. Mentionner Hely faisait remonter à la surface sa disparition et l’absence totale d’indices lors des recherches. Je pris sur moi et ignorai ces mauvaises pensées.

— Et quand aurais-tu voulu qu’elle m’en parle ? Elle était bien trop occupée à m’apprendre à utiliser mes pouvoirs !

Autre moment de silence, où Thomas ne sut quoi me répondre.

— Excuse-moi, Lucy, tenta-t-il au bout d’un moment. Je ne voulais pas…

Je lui fis bien comprendre d’arrêter ses lamentations sur-le-champ sous peine de subir mon courroux, et de m’expliquer plutôt en quoi consistait ce rituel. Après tout, au point où j’en étais, je n’étais plus à ça près…

Alors que nous continuions notre avancée, je m’aperçus que je m’étais éloignée de mon corps bien plus que d’habitude, alors que normalement, prendre une telle distance engendrait de fâcheuses conséquences. Comme risquer ma vie, par exemple…

Cela m’était arrivé dans les premiers jours de mon coma.

Ne supportant plus ma chambre, j’avais suivi Thomas, déambulant dans les couloirs. Jusqu’au moment où j’avais senti un engourdissement prendre possession de ma forme astrale et ma vue s’était brouillée. Aussitôt, une alarme avait retentit autour de nous, ainsi qu’une voix qui me m’était pas inconnue, et qui avait hurlé dans les haut-parleurs :

— Code bleu, chambre 3004 ! Code bleu, chambre 3004 ! Thomas, ramène tes fesses sur le champ, et ma sœur avec !!!

Malgré mon état léthargique, qui prenait de l’ampleur, j’étais parvenue à faire demi-tour et à avancer de quelques mètres. Ma condition s’était améliorée sensiblement, ce qui m’avait encouragé à poursuivre. Quelques minutes plus tard, une fois revenue dans ma chambre d’hôpital près de mon corps, une règle vitale s’était imposée pour mon plus grand malheur : devoir rester à une distance raisonnable de sécurité de mon corps, afin d’éviter un évènement funeste…

Mais là, tout de suite, je ne ressentais pas cet engourdissement. Ma vue ne se brouillait pas, j’allais bien. Nous étions pourtant bien trop loin…

Je me figeai alors, le laissant continuer sa route seul.

— Thomas, quelque chose ne va pas ! m’alarmai-je.

Réalisant la distance qui nous séparait, il chercha à me rassurer, ayant deviné le sujet de mes préoccupations.

— Ne te tracasse pas, Meredith et Deneza ont déjà dû passer dans ta chambre. Ils doivent nous suivre avec ton corps. Ils en ont besoin pour le rituel, tu saisis ma belle ?

Alors comme ça, il allait avoir lieu maintenant ? Tandis qu’on ne m’avait encore rien expliqué à ce sujet ?

— Il est absolument hors de question qu’on pratique sur moi un quelconque rituel archaïque débile ! En plus, j’ignore tout de ce dont il s’agit !

Je me laissais emporter par mes émotions. C’était à la fois inquiétant et libérateur, car cette fois-ci elles venaient de moi seule, et non des personnes proches. Et réagir aussi vivement et de manière si disproportionnée ne me ressemblait pas.

— Mais ma belle, si c’est la clé de ta guérison, tu devrais…

— Je ne devrais rien du tout ! Que l’on m’explique d’abord ce qu’il en est. Je ne vais pas les laisser jouer les apprentis sorciers avec mon corps et mon âme ! Et puis, je ne suis plus à une heure près.

— Très bien, souffla-t-il d’exaspération après quelques secondes de silence, suis-moi. Oanell et Eselt sont dehors avec les autres, ils se chargent des préparatifs et pourront répondre à tes questions.

Nous bifurquâmes sur la droite pour atteindre la sortie et nous débouchâmes sur une forêt. À la différence de notre QG, celle-ci n’entourait pas le bâtiment où nous nous trouvions, mais la bordait sur une bonne moitié.

Je ne pouvais évidemment pas respirer l’air pur qui m’entourait, car je n’étais qu’énergie, mais le simple fait de voir la forêt, le ciel bleu et le soleil était en quelque sorte ma propre bouffée d’oxygène. Cela faisait un bien fou de ne plus voir ces murs blancs !

Nous traversâmes la forêt en empruntant un chemin étroit, pour aboutir sur une immense clairière, la plus belle qui m’eut été donnée de voir. Une multitude de fleurs tapissait le sol, où s’étalait différentes tonalités de rose, violet, jaune, bleu… Pour ce qui était des arbres… ils étaient majestueux ! Des troncs si larges, une hauteur vertigineuse, et un feuillage dru et resplendissant. J’avais devant moi une vision paradisiaque.

Une dizaine de personnes s’affairaient à préparer ce rituel. Je les voyais disposer des tas d’objets dans un coin assez éloigné du centre. Une massue, une épée, des pommes en or… mais, à quoi vont me servir ces choses pour ma guérison ?

Mais ce qui me fit froid dans le dos, ce fut ce que je vis en me tournant vers ce dit centre : plusieurs personnes aménageaient un bûcher, en forme de triangle. Lequel était rempli par une sorte de foin, qu’on faisait glisser à l’intérieur par le biais de fenêtres. On allait me brûler comme une sorcière ?

— Mais c’est quoi tout ça ? m’époumonai-je, apeurée.

J’avais hurlé si fort que Thomas sursauta vivement en poussant un cri de surprise, attirant l’attention de tout le monde.

— Lucynda est à mes côtés sous sa forme astrale, tenta-t-il de leur dire pour justifier son comportement peu commun. Puis, il rajouta en me jetant un regard noir : et elle n’est pas ravie !

Acceptant cette justification, tous retournèrent à leur tâche. Tous, sauf deux personnes, un homme et une femme, qui avançaient lentement vers nous.

— La prochaine fois qui te prend l’envie de hurler à mon oreille, préviens-moi avant, OK ? me murmura Thomas.

L’homme arriva en premier. Il salua Thomas puis, le regard dans le vide, me salua à mon tour, puis il engagea la conversation avec mon compagnon de route.

La femme, qui venait d’une direction opposé à l’homme, mit plus de temps pour nous rejoindre. Elle fit juste un signe de tête à mon matou, puis tourna sa tête dans ma direction et… si j’avais pu m’attendre à ça !

— Bonjour Lucynda, me salua-t-elle en me regardant dans les yeux.

Elle poussa même la chose en s’approchant de moi et en simulant la bise.

Elle me voyait !

— Mais…. Comment ? bafouillai-je maladroitement, totalement sous le coup de la surprise.

— Je pratique le voyage astral, c’est pour cela que je peux te voir, m’expliqua Oanell.

Mais Thomas m’empêcha de lui répondre en prenant rapidement la parole.

— Bon sang ! Tu ne l’as jamais vu avant, tu ne la connais que depuis quelques secondes et tu peux la voir, alors que moi je désespère de retrouver mon amie depuis des semaines, c’est injuste ! Je suis jaloux !

Et il s’éloigna avec l’homme, nous laissant seules toutes les deux.

 

— Je suppose que tu dois avoir des tas de questions à me poser, s’enquit-elle.

J’observais les alentours avant de lui répondre : la mise en place du rituel poursuivait son chemin, il y avait même de nouveaux druides qui venaient d’arriver. Mon regard se perdit à l’horizon. On apercevait les plus hautes tours de cristal de Belannon par-delà la forêt, et les habitants de la ville nous survolaient régulièrement. La vue globale en était assez étrange : un rituel religieux archaïque, un endroit si verdoyant qu’il semblait intouché de la main de l’homme, une ville de cristal à l’aspect futuriste, et des personnes volants au dessus de tout cela. Il y avait de quoi être déroutée.

Comment des pratiques aussi primitives pouvaient-elles coexister avec une telle avancée technologique ?

— Je suis complètement perdue, j’ai l’impression d’halluciner !

Oanell avait suivi mon cheminement et répondit à une de mes questions silencieuses. Elle m’apprit ainsi que les Zebtis avaient certes mis en place diverses lois à respecter à la lettre, mais en aucun cas n’avaient voulu s’immiscer dans les us et coutumes de tous. C’est ainsi que notre communauté avait perpétué nos croyances et se les était transmises de génération en génération.

Je trouvais cela très respectueux de leur part. Sur la Terre, on nous a imposé, au fil des siècles, diverses croyances en nous obligeant d’abandonner les nôtres. Sur Zebtiriu, ils avaient tout compris.

Après lui avoir demandé plus d’explication quant à ce qui m’attendait, Oanell s’exécuta.

— Ce triangle que tu as vu, à ton arrivée, est bien un bûcher. Mais ne t’alarme pas de suite. Et puis, Eselt veillera à ton confort, grâce à son contrôle du feu, tu ne souffriras d’aucun mal suite à cela.

— Qui est Eselt ?

— L’homme qui t’a salué tout à l’heure et qui est en train de parler avec ton ami.

— Mais pourquoi mettre en place un bûcher ? En quoi cela consiste-t-il, cette fontaine de santé ? C’est le nom que m’a balancé Thomas tout à l’heure, mais il ne m’a rien dit de plus.

Alors qu’Oanell s’apprêtait à me répondre, du mouvement sur notre gauche attira notre attention. Mon corps venait d’arriver et se dirigeait dans notre direction.

Elle salua Meredith et Deneza, caressa ma joue, et leur demanda de patienter un peu plus loin, le temps qu’elle finisse ses explications et que tous les préparatifs soient terminés. Puis elle soutint de nouveau mon regard et me répondit.

— La fontaine de santé est un rituel que l’on se transmet de générations en générations, depuis des centaines d’années, et qui nous vient des Tuatha De Danann, nos cousins irlandais. Ils avaient l’habitude d’invoquer leur dieu-médecin, Diancecht, pour soigner les blessés en les immergeant dans une immense cuve remplie d’eau consacrée et de plantes.

— Ah parce que maintenant, on invoque des dieux ! me moquai-je, hilare.

— Je te prie d’éviter ces facéties en ma présence, me répondit-elle en fronçant les sourcils, tout ceci est on ne peut plus sérieux…

— Mais tu parles là de quelque chose qui est vieux de plusieurs siècles ! Comment peux-tu être sûre que tout soit resté exactement comme à l’époque ? Si ça se trouve, vous vous êtes plantés en cours de route, et vous allez juste me faire mijoter à feu doux…

— Et si tu me laissais finir mes explications ? Notre religion a beau avoir été transmise uniquement par oral, nous en sommes pas moins méticuleux pour autant.

Elle marqua le silence et me fixa longuement. Je mimai l’acte de fermer ma bouche à clé, pour qu’elle soit sûre que je ne l’interrompe plus pour rien. Satisfaite, elle poursuivit.

— Pour en revenir à ce bûcher, qui te fait si peur, sa     construction, si particulière, a été élaboré dans les moindres détails. Sa forme en triangle, creuse à l’intérieure, est remplie de chanvre. Il est pourvu de sept fenêtres, dont trois sont orientées au nord. Le chaudron d’eau et de plantes sera posé au-dessus.

Elle se dirigea ensuite, sans un mot, vers un coin isolé de tous. Je m’empressai de la suivre.

Plusieurs objets jonchaient le sol. Des fruits en or, des armes, des cailloux… Mon sang se glaça lorsque je remarquai une épée dans tout cet amas d’ustensiles. Par réflexe, ma main se retrouva sur mon torse, là où l’épée m’avait transpercée, et mon regard se perdit dans le vide, cette scène morbide repassant devant mes yeux contre ma volonté.

Ce n’est qu’en sentant une main froide sur ma joue que je revins à la réalité. Avant même d’avoir pu être surprise de ce contact avec ma forme astrale, techniquement impossible, je m’aperçus qu’Oanell avait prit la sienne afin de me sortir plus facilement de mes pensées.  Une fois son objectif accompli, elle récupéra son corps.

— Je peux arrêter là mes explications, si tu le souhaites, me proposa-t-elle, un air compatissant ornant ses traits fins.

— Nn… non, bafouillai-je. Continue, s’il te plaît. C’est juste que… je…

— Je sais, m’interrompit-elle.

Elle me regarda droit dans les yeux et me décerna un sourire bienveillant qui me réchauffa le cœur et éloigna définitivement ces mauvaises ondes. J’évitais toutefois de jeter un œil vers cette épée afin d’éviter de replonger.

— Les pommes d’or que tu vois là sont celles d’Emain Ablach, l’île qui est le Royaume de Dana, déesse-mère protectrice de Gaïa, la Terre-Mère. Elles seront placées en cercle autour du feu. Il en sera de même pour les cinq talismans : la lance de Lug, la claíomh solais, le chaudron et la massue de Dadga, et la pierre de Fál.

Elle quitta cet endroit reculé et revins vers le centre de la clairière.

— Tu pourras aussi rencontrer tes premiers Filid. C’est un ordre très fermé regroupant les druides les plus importants de notre société. Ils seront au nombre de six : trois Ollam, des docteurs, un Anrad, poète, un Cli, pilier de la connaissance et enfin un Cana, chanteur. Ces Filid tiendront chacun une branche d’aubépine et une pierre de Drowes. Et lorsque le rituel débutera, une foule formera un demi-cercle et accompagnera les Filid dans leurs chants et incantations.

Les préparatifs arrivant apparemment bientôt à leur terme, puisque la foule présente autour de nous s’agitait de moins en moins, Oanell enchaîna rapidement avec les dernières étapes.

Je m’étais dit qu’en me racontant son déroulement, je le trouverais plus crédible, mais c’était tout le contraire ! Une absurdité à l’état pure ! Comme si un bain d’herbes et quelques chants guériraient cette infection mystérieuse et me sortiraient de mon coma !

Mais bon, tout ce petit monde s’était donné tant de mal pour tout mettre en place, que je ne pouvais simplement pas dire non. Alors j’acquiesçai.

Oanell en fut ravie !

 

Le silence se fit dans la clairière, le rituel de la fontaine de santé pouvait démarrer.

Un druide s’avança vers le bûcher, se positionna sur le côté nord.

— Ollam Audran ! s’annonça-t-il.

— Anrad Brayan ! lança le second, qui venait de le rejoindre à ses côtés.

S’ensuivit de l’Ollam Dilwen et le Cli Edern d’un côté, ainsi que l’Ollam Goulven et le Cana Lohan de l’autre.

Chacun d’entre eux jeta une baguette d’if, gravée de mots de guérison, dans la cuve. Lorsque tous furent à leur place, ils allumèrent le bûcher.

Ils entamèrent un chant celte en dansant et en se déplaçant en cercle de droite à gauche. Une fois le premier tour terminé, ils jetèrent la pierre et la branche d’aubépine dans la cuve. C’était au tour d’Eselt et moi. Il chevaucha la paroi de la cuve, mon corps dans ses bras, et me maintint à la surface.

Le demi-cercle de personnes se mit en mouvement : certains se posèrent en tailleur tout en psalmodiant, d’autres restèrent debout à chanter, ou s’assirent pour jouer de la harpe ou effectuèrent une sorte de gestuelle mystique.

 

L’Ollam Audran commença l’incantation, et à chaque phrase prononcée, les autres Filid répétèrent après lui.

— Modron, ô mère divine, honore-nous de ta présence !

Les six effectuèrent la même gestuelle que la foule l’entourant, puis stoppèrent quelques secondes plus tard.

— Grannus, ô grand dieu guérisseur, répands ta lumière à travers ta fille.

Les nuages laissèrent place à une éclaircie, qui frappa directement la cuve. Coïncidence, si vous voulez mon avis !

— Dana, déesse-mère des Tuatha Dé Danann, nos ancêtres et Dagda, Dieu druide du sacré, de la science et des éléments, venez à nous afin de bénir la guérison de notre sœur !

Le tonnerre gronda.

— Diancecht, Airmed, Miach et Oirmiach, par votre savoir, guérissez Lucynda de ces maux inconnus !

Les Filid dansèrent en se déplaçant en cercle autour de nous, puis, une fois qu’un tour fut accompli, chacun ramassa une pomme d’or et la jeta dans la cuve.

— Emain Ablach, voici ton fruit, signe d’immortalité, que sa magie favorise la bonne santé de notre sœur.

L’atmosphère se fit lourde. Était-ce à cause de ce feu qui prenait de l’ampleur ou cette fumée de chanvre qui s’intensifiait de minute en minute ?

Une chaleur m’envahit soudain, mon corps et moi, et je ressentis toute la bonté qui s’en dégageait. Quelques secondes après, l’eau de la cuve se mit à bouillir d’un seul coup, pourtant elle n’était pas plus chaude. Tout ce qu’elle contenait en éléments végétaux, Coudrier, sorbier, pommes, aubépine, achillée, bétoine, plantain, et toutes les autres plantes, tout cela sans exception se mit à rougeoyer si fort que je ne pus les regarder plus longtemps.

Soudain, dans le tumulte que généraient les druides officiants, Eselt me plongea dans l’eau et m’y maintint. Cherchait-il à me noyer, à présent ?

Mais quelque chose d’étrange et d’inexplicable se produisit et vint chambouler mes croyances.

Tout se brouilla autour de moi, et une obscurité m’envahit. Cela me sembla durer une éternité, mais lorsque j’ouvris les yeux, un paradis s’offrit à moi.

Tout était si beau, qu’il était presque impossible d’y apposer des mots pour décrire cette merveille. Les arbres, les fleurs, les fruits, tout était si intense !

Malgré cela, mon instinct me força à regarder sur ma droite et j’aperçus plusieurs silhouettes me tournant le dos s’éloigner lentement. Une aura de lumière les entourait. Elles se retournèrent brièvement et j’eus la sensation qu’elles me souriaient, puis elles disparurent.

Ce fut à ce moment-là que je réalisais que je ne flottais plus dans les airs, mais que j’étais dans les bras d’Eselt, qui était assis sur le sol !

— Mais qu’est-ce… marmonnai-je

— Les dieux viennent de te remettre dans ton corps, tu es sauvée !

Alors, toutes ces croyances archaïques n’étaient pas que des foutaises ?

Je me mis debout, avec son aide, et put constater l’impossible. Il n’y avait même plus une seule trace de ma blessure ! Mais, lorsque je voulus lâcher la main du vieil homme pour aller gambader dans cette fabuleuse prairie, il me retint fermement.

— Non ! hurla-t-il soudainement. Si tu me lâches, tu resteras dans l’Autre-Monde à tout jamais et tu ne reverras plus les êtres qui te sont chers. Si je suis resté à tes côtés durant tout le rituel, c’était pour ce moment : pour te ramener dans le monde des vivants. Seule, tu n’y serais jamais parvenue. Maintenant, on peut rentrer chez nous.

Nous restâmes debout, face à face, et il enserra mes mains en psalmodiant des mots dans une langue inconnue. Tout se brouilla à nouveau autour de moi et je vacillai, rattrapée de justesse par mon sauveur.

En un claquement de doigts, nous nous retrouvâmes dans la cuve. Mais j’étais toujours debout, et bel et bien dans mon corps !

Les meilleurs médecins de Belannon, munis de la plus haute technologie et des méthodes de soins les plus développés, avaient pu guérir mes blessures les plus graves, mais n’avaient rien pu faire pour me sortir du coma et stopper cette étrange infection ! Alors que des Dieux m’avaient entièrement guérie !

Bon, je ne pensais pas qu’ils soient réellement des Dieux, et je le garderai pour moi, plutôt nos ancêtres les plus lointains et les plus puissants…

Tous s’étaient rapprochés de nous deux et nous aidèrent à sortir du bassin. Une fois que mes pieds foulèrent le sol, mon regard fut automatiquement attiré vers Thomas. Mais il n’était pas seul…

— Dorian… murmurai-je de soulagement.

Comme à son habitude, il me devança dans mon élan et se retrouva à mes côtés en moins de temps qu’il en faut pour le dire.

Nous nous perdîmes dans une étreinte des plus passionnées. Après avoir été séparés durant plusieurs semaines, notre besoin de contact était devenu vital. La fièvre prit possession de nous à l’instant même où nos lèvres se touchèrent. Mais cela ne nous préoccupa pas plus que cela. Nous savions que rien de fâcheux n’arriverait, comment le savions-nous ? Aucune idée.

Lorsque nous nous séparâmes, à contrecœur, j’eus le vertige.

— Oh là, oh là, Luce…est-ce que tout va bien ? s’alarma-t-il.

Je me sentais soudainement faible : quelque chose n’allait pas, je le percevais en moi.

— Je ne sais pas, Dorian, lui répondis-je en reculant de deux pas.

Ma tête me faisait mal, si mal… Je l’enserrai entre mes mains, pour atténuer quelque peu la douleur, sans succès.

Dorian s’approcha et posa ses mains sur mes épaules.

— Tu vas me dire ce qu’il se passe ?

Il avait peur à présent, cela se lisait sans peine sur son visage.

J’eus juste le temps de caresser sa joue, de lui susurrer des mots doux à l’oreille, et je perdis connaissance dans ses bras.

 
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CHAPITRE 1

 

 

— Non, vous ne devez pas baisser les bras ! Vous êtes les médecins les plus compétents de Belannon, pas vrai ? Alors, prouvez-le !

— Écoutez, Thomas. Vous devez comprendre que nous sommes ici, dans un cas inhabituel qui nous dépasse complètement. Nous avons déjà tout tenté pour la guérir de cette étrange infection. À présent, nous…

— Vous devez trouver autre chose ! le coupa-t-il, à bout de patience. Vous n’avez jamais laissé mourir l’un de vos patients, vous n’allez pas commencer maintenant…

Cette dernière phrase eut le mérite de me faire reprendre conscience. Thomas avait craché ces mots avec une telle violence, que je l’avais à peine reconnu. L’on aurait dit un parfait étranger.

Je regardai autour de moi pour analyser ce qui m’entourait. J’étais de retour dans ma chambre d’hôpital, génial…

Hormis les deux médecins, il y avait bien sûr Thomas – qui parlait tranquillement avec l’un d’eux pendant que l’autre vérifiait mes constantes sur une de ses machines que je n’avais jamais vues auparavant – mais pas que… Mon frère était également présent et…

« Oh, bon sang, ce n’est pas vrai ! » jurai-je en pensée.

Me voici revenue au point de départ : je ne m’étais pas réveillée comme je l’avais cru dans un premier temps, j’étais à nouveau dans le coma et sous ma forme astrale ! Pas étonnant que personne n’ait réagi lorsque j’avais ouvert les yeux, car ces dits yeux étaient restés fermés ! Tant que je ne prononcerai pas le moindre mot, personne ne se douterait de ma présence.

Le médecin qui faisait face à Thomas se voulut rassurant. Il lui posa les mains sur ses épaules et l’immobilisa, puis plongea son regard dans le sien.

— Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la sauver, je vous le promets.

Thomas se dégagea vivement.

— Cela n’a pas été suffisant jusque là !

Je sentais clairement que la tension montait en flèche. Soit il restait dans cette pièce, et coma ou pas, il libérerait sa colère, soit il s’éloignait.

Je voulus apaiser la situation et enfin signaler ma présence, quand quelqu’un d’autre le fit à la place.

— Calme-toi, Thomas. Elle est avec nous, elle a tout entendu…

N’ayant pas terminé l’exploration de ma chambre, je n’avais pas pu remarquer sa présence. Moi qui avais voulu espionner tranquillement, c’était raté…

Par réflexe, Thomas se tourna vers mon corps. Mais le seul changement qu’il vit fut le regard de Jimmy, qui oscillait entre la druidesse qui venait de parler et… moi.

— Bonjour Oanell, la saluai-je poliment.

Thomas regarda enfin dans ma direction, et je ne sus dire avec exactitude s’il était soulagé de m’entendre à nouveau ou plutôt déçu…

Alors je tentai une pointe d’humour pour le dérider un peu.

— Cache ta joie, ça fait plaisir !

Bon, OK, tentative ratée. Il était maintenant furieux.

— Mais bon sang, Lucy, est-ce que tu t’entends parler ? fulmina-t-il, les poings tellement serrés que ses jointures blanchirent. Tu crois que c’est un jeu ? Si tu as vraiment tout entendu, alors tu sais que…

— Je risque de mourir, oui, je sais…

J’étais calme, trop calme… À la vérité, je n’arrivais pas à croire que mes jours étaient réellement comptés. Je veux dire, j’avais déjà failli y passer une fois. J’avais même été en train de mourir ! Et pourtant, j’avais pu être sauvé à la dernière minute. Ça expliquait certainement pourquoi je le prenais si bien. Quelque part au fond de moi, je savais que je n’allais pas mourir, car quelqu’un trouverait certainement une solution au dernier moment…

Mais bien sûr, il y avait une chose qui n’avait pas encore été testée !

— Thomas ! Je sais ce que tu pourrais faire ! Mais pourquoi n’y ai-je pas pensé avant ! Tu…

— J’ai déjà essayé et cela n’a pas marché, souffla-t-il de découragement.

Baissant alors les yeux, je remarquai qu’il avait toujours les poings serrés, mais que du sang s’y écoulait. Il desserra donc les mains, et je pus voir ses griffes se rétracter doucement. Il avait donc tenté de me donner une autre vie, sans succès.

Il s’éloigna de moi et se pencha contre le mur, son front et les paumes de ses mains reposant sur la surface froide.

Je m’approchai doucement de lui, voulant l’apaiser en l’enlaçant… à quoi bon puisque je ne pouvais rien toucher ? C’en était frustrant.

— Écoute Thomas, tu ne devrais pas te mettre dans un était pareil. Tout ira…

Il frappa le mur si fort que je sursautai en poussant un cri de surprise. Il avait même réussi à y laisser sa marque sous la force du coup.

Je regardai brièvement autour de moi. Mon frère, enserrant toujours ma main dans la sienne, pleurait au pied du lit. Oanell, elle, me regardait étrangement. C’est là que je réalisai que j’étais réellement sereine, je souriais…

— Tout ira bien ? me cracha Thomas. C’est ce que tu allais dire ? Mais ouvre les yeux, bordel ! Tu vas mourir avant la fin de la semaine si cette bande d’incapables ne trouve pas ce que tu as !

Je ne sus quoi lui répondre, il prit donc mon silence pour ce qu’il n’était pas.

— Ah, ça y est ! Enfin tu réagis !

Je n’avais pas su quoi lui répondre, pas parce que je venais enfin de réaliser cette triste fatalité qu’était ma mort prochaine. Non. J’étais restée muette, car, justement, ses mots n’arrivaient pas à faire mouche.

Mais qu’est-ce qui n’allait pas chez moi ?

Quand mes parents et toute ma famille furent tués, je n’avais jamais été aussi dévastée de ma vie. Quand mon frère avait failli y passer, mes émotions m’avaient tellement submergée que je m’étais plongée dans un état catatonique… Même la fois où j’ai cru mourir des mains de Dorian, j’avais eu peur… Alors pourquoi, ici, n’arrivais-je pas à réagir ?

Il quitta son mur de soutien et me fit face, cherchant mon regard qu’il ne pouvait voir.

— Je… Je…

Bon sang, voilà que je perdais mes moyens ! Fermant un instant les yeux et prenant une grande bouffée d’oxygène – pour ce que ça pouvait servir vu mon état – je réussis à reprendre le contrôle.

— Tout ira bien, répétai-je. Je…

Il ne me laissa pas finir, déjà il me tournait le dos et se dirigeait vers la sortie. Seulement il en fut empêché par Oanell, qui le stoppa d’une main sur son épaule. Dorian entra à ce moment même.

— Je sais que je ne vais pas mourir.

Thomas et Oanell se figèrent et moi je réalisai la portée de mes mots.

« Je savais… » Mais comment ? Je ne mourrais pas, j’en étais persuadée… On aurait dit que…

— Oh, mon Dieu… fut les seuls mots que je pus prononcer.

Ce silence fut si soudain que Jimmy en lâcha ma main et s’éloigna du lit pour faire face à Thomas et Oanell. Même Dorian fit de même, après avoir jeté un coup d’œil vers mon corps.

Mon frère empoigna alors Thomas pour le faire réagir et le ramener à la réalité.

— Qu’est-ce qui se passe ? s’impatienta-t-il en le secouant vivement. Qu’est-ce qu’elle a dit ?

Un simple regard suffit à Jimmy pour qu’il le lâche, attendant sa réponse avec appréhension, comme un condamné à mort en route vers sa dernière destination. Après ce qui est arrivé à Mel, les nerfs de mon frère étaient mis à rude épreuves…

— Elle…Elle a… balbutia-t-il. Elle a dit qu’elle n’allait pas mourir. Elle en est certaine, elle le sait…

Mon frère se figea à son tour, affichant la même expression d’étonnement que les autres.

Seul Dorian se démarqua de nos amis, arborant l’un de ses plus beaux sourires…

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